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Extrait 1   |   Extrait 2

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Le désespoir pousse à l'action ou à l'oisiveté. Dans un cas comme dans l'autre, les formes sont souvent excessives. On se suicide ou on se languit.

La lassitude glisse sur Albien sans l'atteindre. Il gît tout habillé sur son lit. Il n'a plus quitté sa chambre, ne s'est plus lavé, et sa promiscuité avec lui-même commence à l'incommoder. Depuis cinq jours, depuis le verdict de son oncle : « Tu n'es pas encore prêt pour un long voyage, Alby ! »

Au souvenir des paroles d'Edwin, le jeune homme fronce les sourcils. Si, à vingt-deux ans, il n'est pas prêt, quand le sera-t-il ?

Chaque soir, Persévérance Bienfait, inquiète pour son grand fils, frappe trois coups à la porte de la chambre avant de déposer un plateau-repas auquel Albien ne touche jamais. Le sol de la pièce est jonché de revues, de livres, de photos découpées dans des magazines représentant la brousse, la savane, des tambours, des jeeps. Mais ce sont surtout les chiffres qui impressionnent Albien. Nobles et dignes, ils se rangent dans les cases de son cerveau. Il se les répète comme une ritournelle. Un million cent trente-huit mille. Un million cent trente-huit mille individus dans leur minuscule pays de dix-sept mille trois cents kilomètres carrés. Ah, s'il pouvait les observer à la loupe, comme il le faisait enfant avec les arthropodes sous le microscope de l'oncle Edwin. À cette époque, Albien scrutait le grain de sable, le petit caillou, le brin d'herbe, la goutte de rosée, le cloporte, la fourmi, le ver de terre. Il découvrait chaque pépite de l'univers avec l'éblouissement du chercheur d'or. La moindre modification le bouleversait, car dans l'harmonie parfaite de la nature l'élément le plus infime trouve toujours sa place.




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